La barrière de péage de la Sauvenière

En Principauté de Liège, les barrières apparaissent suite à la genèse du projet de développement routier de 1712 (construction de quatre chaussées partant de Liège), principalement pour rembourser les coûts de construction et d’entretien des nouvelles voies de communication. Ces péages se sont multipliés au fur et à mesure que le réseau des chaussées se développa. Toutefois, ces barrières ont ralenti les échanges et ont contribué à l’augmentation du prix des marchandises.

La barrière désigne le lieu de perception du « Droit de Tolle », qui est un droit d’usage de la chaussée. Le terme « tolle », féminisation du flamand « tol » signifiant péage, est fréquent dans les documents liégeois du XVIIIe siècle. A la différence du « Droit de Tolle » qui est un droit d’usage de la chaussée, le « Soixantième » est lui un droit de transit, c’est à dire un impôt douanier perçu sur les marchandises entrantes et sortantes de la Principauté, à hauteur de 1/60e de leur valeur. Le « Soixantième » n’entrait pas en considération pour financer le réseau routier.

A l’époque, les barrières étaient un point de passage incontournable pour tout ce qui circulait sur la chaussée, mais aussi dans un espace fictif d’une demi-lieue situé de part et d’autre de la dite chaussée. Il existait deux manières pour réaliser la perception des droits. Soit la perception était effectuée par un agent de l’Etat présent sur place, soit la perception était vendue par adjudication à l’acheteur le plus offrant et ce dernier percevait le péage. Cette méthode était la plus répandue en Principauté de Liège.

En 1867, Frère-Orban, Ministre des finances, supprime les barrières de péage sur les routes de l’Etat, les autres suivront plus ou moins vite. Toutefois, elles ont laissé leur dénomination un peu partout, particulièrement dans les provinces de Liège et de Luxembourg. Par exemple : « La Barrière de Champlon » à Tenneville, « La Barrière de Transinne » à Libin, « La Barrière-Luc » à Florennes, « L’ancienne barrière » à Basse-Bodeux, …

Tarif pour le droit de passage à la barrière de la Sauvenière en 1779

Tarif pour le droit de passage à la barrière de la Sauvenière en 1779


Mais venons-en à la barrière de la Sauvenière :

Mi-décembre 1778, le Magistrat de Spa (Conseil communal de l’époque) décide la construction d’une nouvelle chaussée pour relier Spa et la Sauvenière (délaissant le tracé passant par l’ancienne route devenue la rue Chelui) et le placement à cet endroit d’une barrière de péage dont les ¾ des revenus lui reviendront. La barrière de la Sauvenière sera placée non loin de la fontaine du même nom.

Sans attendre, François Charles de Velbruck, Prince-Evêque de Liège, fixa dans une ordonnance le règlement de la barrière de la Sauvenière ainsi que les exemptions et fit en sorte que les étrangers qui se rendaient aux fontaines de la Sauvenière et de Groesbeek soient dispensés du paiement des droits de la dite barrière, en la plaçant en amont des fontaines.

Quelques années plus tôt (en 1774), le Magistrat de Malmedy et celui de Stavelot avaient obtenu de Jacques de Hubin, Prince-Abbé de Stavelot, l’autorisation de faire construire une route reliant Malmedy à Francorchamps, et par la suite de la prolonger jusque la Vecquée à Malchamps, limite à cet endroit de la Principauté Abbatiale de Stavelot.

En mars 1779, ces mêmes Magistrats avaient envoyé une missive au Prince-Evêque de Liège demandant et argumentant la prolongation de la nouvelle chaussée reliant Spa et la Sauvenière jusqu’aux limites du Pays de Liège à Malchamps.

Pour ces Magistrats, il était évident que, depuis la construction de la chaussée reliant Liège à Spa (ouverte en 1768), les charretiers du pays de Stavelot-Malmedy prenaient de plus en plus le tracé via Malchamps, quoiqu’il n’y ait pas encore là de chaussée digne de ce nom, et qu’ils abandonnaient la route via Hautregard et Vertbuisson.

En juillet 1787, le Magistrat de Spa propose au Prince-Evêque de Liège de prendre en charge les frais de construction de la levée (chaussée) à réaliser entre la Sauvenière et la limite de la Principauté à Malchamps et ce moyennant le dernier ¼ de barrière perçu à la Sauvenière. Ce qui fut accepté par l’autorité de la Principauté liégeoise en décembre 1787. La Ville de Spa touchera ainsi, à perpétuité, le produit complet de la barrière de la Sauvenière, à charge pour elle de construire la route depuis la Sauvenière jusque la Vecquée à Malchamps.

La route de Spa à la Sauvenière, poussée en 1788 jusque Malchamps, coûta à la commune de Spa 80.000 francs.

Pierre Joseph Delvaux sera un des premiers receveurs (fermiers) de la barrière de la Sauvenière. Il était auparavant le receveur du comptoir de douane du Soixantième de Spa, son bureau, situé rue de la Sauvenière (aujourd’hui rue Xhrouet) dans une maison enseignée « Grand Môre », avait été détruit lors de l’incendie du 13 avril 1785 qui ravagea 35 maison, principalement dans le Vinave de Bohy.

En novembre 1796, durant l’occupation française (1789-1814), la taxe de barrière est abolie. Les Villes et les Communes sont dépossédées sans indemnité de la propriété des routes et chemins qu’elles avaient construits.

Toutefois, en 1798 pour raison financière, l’Autorité va réinstaurer le droit de barrière sur les routes pavées et lancer de nouvelles adjudications. Ce fut Erasme Dresse qui remporta celle de la barrière de la Sauvenière. De sa propre autorité, ce fermier avait déplacé la barrière de la Sauvenière au bas de la route du même nom, à la sortie de Spa. Le Préfet du département de l’Ourte le pria de la rétablir à sa position primitive c’est-à-dire au-delà de la fontaine de la Sauvenière.

Début mai 1816, pendant la période hollandaise (1815-1830), le Maire de Spa déposa réclamation auprès de l’autorité provinciale car le poteau de barrière de la Sauvenière avait été placé par le fermier Sacré Servais en deçà des fontaines minérales, ce qui obligeait les étrangers se rendant aux dites fontaines de payer les droits de parcours. Le Comte Charles Alexandre de Liedekerke, Gouverneur de la province de Liège, fit replacer le poteau de barrière à sa place primitive, c’est-à-dire au-delà de la fontaine de la Sauvenière.

En 1849, le même scénario se reproduisit encore. Voici deux extraits de lettres du Comte de Cornelissen, Bourgmestre de Spa, adressées au Gouverneur de la province de Liège et consignées dans le registre de correspondance de l’Administration communale de Spa (année 1849), concernant le déplacement de la barrière de la Sauvenière par le fermier Grégoire Jamar (fermier de 1832 à 1834, 1836 à 1840, 1847 à 1849).

Correspondance du 24 octobre 1849 : … Il y a deux ou trois ans que le poteau et le bureau de perception de la barrière de la Sauvenière ayant été placés par l’adjudicataire en aval des chemins des fontaines, celui-ci exigeait le droit de parcours de tous les étrangers qui fréquentent les fontaines. Désirant éviter les tracasseries que l’Administration eut alors à cet égard, je viens vous prier, Monsieur le Gouverneur, de rappeler lors de l’adjudication qui aura lieu le 29 courant, que le poteau ainsi que le bureau de perception de cette barrière ne pourront en aucun cas être placés en aval de ces chemins. Au surplus, Monsieur le Gouverneur, si la nécessité exigeait de faire faire une construction elle serait mieux placée en amont qu’en aval de la Sauvenière. …

Correspondance du 18 décembre 1849 : … Monsieur le Commissaire d’Arrondissement nous a transmis pour exécution, une expédition de l’arrêté de la Députation permanente en date du 12 de ce mois, qui autorise le sieur Grégoire Jamar, fermier de la barrière de la Sauvenière, à construire une baraque destinée à la perception de la dite barrière en l’adossant au bâtiment servant d’écurie et de grange appartenant à la Commune et situé en deçà du chemin de la Géronstère. Nous croyons, Monsieur le Gouverneur, devoir réclamer instamment près de la Députation permanente, contre l’autorisation dont il s’agit, laquelle, outre le danger d’incendie qui résulterait de l’adossement de la baraque aux écurie et grange de la Commune, couvertes en chaume et contenant les bestiaux et fourrages du fermier plus le matériel des courses, donnerait au fermier les moyens d’éluder les réclamations de l’Administration communale en faveur des étrangers allant aux fontaines ou qui en reviennent.

… Nous tenons donc vivement, Monsieur le Gouverneur, à éviter tous ces inconvénients, ce qui est très facile en obligeant le fermier à construire sa baraque et à placer son poteau au-delà de la route qui conduit à la Géronstère, où se trouve un emplacement très convenable …

La réclamation du Bourgmestre spadois le Comte de Cornelissen a-t-elle abouti positivement ?

L’extrait de la carte Vandermaelen, établie à la même époque, semble indiquer le contraire car le nom barrière est attribué au bâtiment communal (écurie et grange) situé en deçà du chemin de la Géronstère.

Le bâtiment communal (écurie et grange) porte le numéro 20  (Extrait du plan Popp de 1860)

Le bâtiment communal (écurie et grange) porte le numéro 20 (Extrait du plan Popp de 1860)

Barrière de la Sauvenière (Extrait de la carte Vandermaelen de 1846-1854)

Barrière de la Sauvenière (Extrait de la carte Vandermaelen de 1846-1854)

1833 : Lithographie de Théodore Fourmois : La fontaine de la  Sauvenière. A droite, derrière les personnes assises au bord de la route, le bâtiment communal (écurie et grange) portant le n°20 sur le plan Popp

1833 : Lithographie de Théodore Fourmois : La fontaine de la Sauvenière. A droite, derrière les personnes assises au bord de la route, le bâtiment communal (écurie et grange) portant le n°20 sur le plan Popp


Jean Lecampinaire

Sources : Spa Histoire et Bibliographie Tome II (Albin Body – Editions Culture et Civilisation – 1981), Des chemins aux chaussées … dans la Principauté de Liège … (Alexandre Smitz – Mémoire universitaire – 2021), La voirie ancienne de la région de Spa (Maurice Ramaekers – H.A.S. – 1984), Les barrières de péage au Franchimont (Louis Beckers -Terre de Franchimont – 2019 et 2020), L’origine de la Redoute de Spa (Georges Emile Jacob – H.A.S. -1981), Registre de correspondance de l’Administration communale de Spa (Fonds Body)


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