Depuis sa restauration en 1975, la Géronstère qui, dans son cadre de verdure, a retrouvé l’aspect qu’elle connaissait il y a un peu plus de deux siècles, est sans nul doute la plus belle des sources de Spa.
Chaque année, en mai, on célèbre sous les frondaisons voisines la messe et la bénédiction de la forêt.
Cette source est déjà citée en 1559 par Gilbert Limborh dans son livre sur les Fontaines acides de la forest d’Ardenne. L’auteur y écrit que « la fontaine de la Géronstère, sourdant d’entre les halliers et lieux inaccessibles, a semblables vertus que les précédentes, mais elle se perd à cause qu’elle n’est pas fréquentée. » Dans son Voyage ès Ardennes, Pierre Bergeron , en 1619 écrit de son côté « qu’elle est située à une bonne lieue de Spa tirant vers le midy en montant et au milieu des rochers et des bois en un endroit assez désert, mal accomodé et peu accessible pour estre comme cachée entre des buissons et halliers ». Elle est, ajoute-t-il, « peu hantée pour estre plus violente et plus forte » [p.176]. A ce propos, il écrit aussi que » parce quelle provoque vomissements et dévoiements, on l’appelle l’Enragée. »
En 1609, dans son Spadacrene Henri de Heers, médecin du prince Ferdinand, électeur de Cologne, écrit que « la Géronstère a l’odeur d’acier fondu »; il dit aussi « qu’elle enivre, ivresse qui dure un quart d’heure, ressemblant à celle qu’éprouvent ceux qui fument pour la première fois ». Il semble que c’est vers cette époque qu’on commença à fréquenter cette source connue, écrit de Heer, de son beau-père, la médecin de Rye qui avait soigné le duc de Mantoue lors de son séjour à Spa.
Le chemin qui y conduisait était fort peu praticable et bordé de rochers et, en 1734 encore, l’auteur anonyme des Amusemens des eaux de Spa écrivait que le cocher était obligé d’aller à pied en guidant le cheval. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1749 qu’une nouvelle route fut aménagée vers la source.
Le premier dessin représentant celle-ci est dû à Cantagallina [1612]. Sans aucune superstructure pour l’abriter, elle sourd d’un rocher dans un renfoncement. Devant elle, est assis un homme tenant un gobelet; d’autres entourent un feu allumé à proximité. [1]
Plusieurs notes d’A.Body concernant la Géronstère, tirées des comptes des bourgmestres de Spa, se trouvent dans la farde 227 de la Bibliothèque Albin Body. En 1642, on déboursa 3 florins 8 patars « pour un tonneau mis à Gérostère ». En l646, on y fit ériger une maisonnette.
En 1651, la comte Conrad von Burgsdorff, Conseiller Intime de l’Etat de l’Electeur de Brandbourg, homme de guerre et diplomate, fit protéger la source par une niche en marbre couverte d’un dôme de pierres de taille soutenu par quatre piliers de marbre rouge. Il fit aussi placer sur une muraille voisine ses armes ainsi qu’une inscription en français et en allemand [2]. Ce monument est représenté sur une gravure de cette époque.
A proximité de ce petit édifice, surmonté d’un toit pyramidal et qui est situé dans un creux, on voit un peu plus haut un bâtiment assez modeste, devant lequel se tiennent des cavaliers. Il fut ensuite séparé de la source par un mur semi-circulaire, ainsi qu’on peut le voir sur une autre gravure de 1655 en-dessous de laquelle on lit le texte suivant:
La bile noire la fuit, et les humeurs visqueuses
Par le vomissement, changent de domicile.
La rate endormie la rend la plus fameuse
Les fièvres intermittentes soubmises à ses loix
Soufre de l’hydropisie les derniers abois.
Comme nous l’apprend M. F. Bourotte dans un article publié dans Hist. et archéol. Spadoises de juin 1979, consacré à Von Burgsdorff, ce bobelin souffrait surtout de maladies de la vésicule biliaire causés par des excès de boisson. Si la czar Pierre-le-Grand, qui vint à Spa en juillet 1717, usa surtout des eaux de la Géronstère, c’est que, selon la certificat rédigé par son médecin écossais Areskine, il souffrait lui aussi de l’estomac et de « coliques bilieuses ». [3]
Sans doute l’édicule élevé par de Burgsdorff avait-il subi des dégradations car, d’après les notes d’A. Body, avant la venue du czar, on paya la 5 juillet 1716 20 florins pour trois chapiteaux à la fontaine de Géronstère. En 1718, la premier janvier, un compte des bourgmestres signale qu’on a payé aux tailleurs de pierre de Goer (Goé] qu’on avait fait venir, 3 florins pour un « hornay ». La 10 avril, on déboursa 210 florins pour l’achat de pierre de jaspe et façon, et, la 20 avril 11 florins pour dépenses faites en mettant le « hornay ».
Il faut noter qu’il y a deux sources, dont l’une à quelque distance de celle de Conrad von Burgsdorff. En 1674-1675, A.Body a noté, d’après les comptes des bourgmestres des dépenses faites « à la Géronstère aux deux fontaines ».
En 1734, grâce aux Amusemens des eaux de Spa, nous apprenons qu’il y a près de la fontaine une petite place d’environ 40 pieds en carré, creusée dans le rocher et, au bout de cette place, un grand bâtiment en forme de halle au-dessus duquel il y a une espèce de chambre.
Ce bâtiment a l’air d’un corps de garde; la chambre supérieure est bâtie en saillie au-dessus de la salle qui sert de chauffoir; les troncs d’arbre et les branches vertes brûlées dans la cheminée enfument toute la compagnie.
Quand l’auteur de ce livre se rendit à la Géronstère il y vit une trentaine de chaises, quelques voitures particulières et environ une centaine de cavaliers, sans compter d’autres buveurs parmi lesquels des prêtres et moines, venus à pied. De la terrasse, en forme d’amphithéâtre, où l’on accède par un escalier, on découvrait des clochers éloignés (sans doute celui de Creppe).
En 1735, on construisit un nouveau bâtiment plus grand comportant des remises. D’après la gravure du livre de J.Ph.de Limbourg Les Amusemens de Spa [1782], on constate qu’une galerie conduit du monument von Burgsdorff au bâtiment où viennent se chauffer les buveurs d’eau, dames, gentilhommes et prêtres de toutes nationalités. Certains apprécient assez peu cette eau à l’odeur d' »oeufs couvis ». Contrairement à celle des autres pouhons, elle n’est pas transportable et doit être bue sur place. En cette seconde moitié du XVIIIè siècle, qui fut l’âge d’or de Spa, on trouve à la Géronstère des bateleurs, des saltimbanques et des colporteurs de curiosités. Parfois, au cours de l’été, des boutiques en plein vent couvrent les pelouses environnant la fontaine.
En 1838, une vue de la Géronstère par Th. Fourmois montre encore la galerie couverte semblable à celle qu’on trouve à la Sauvenière. |
En 1872, on construisit une glacière. Vers cette époque, le monument Von Burgsdorff fut déplacé sur l’emplacement de la source l’Enragée. Des réparations furent exécutées aux bâtiments en 1890. Le 17 mai 1893, ces bâtiments , de style chalet suisse fort peu en rapport avec la style local furent détruits par un incendie. [4]
En 1890 – 1891 avait été présenté à la commune un projet de recaptage de la source qui était dévié de son captage primitif. La niche de marbre fut reléguée au Pouhon Pia et le monument à colonnes réédifié au-dessus d’un escalier souterrain, situation qui subsista jusqu’ en 1975.
Quant à la source située en contrebas du bâtiment, elle était abritée par un petit kiosque.
En 1975 , l’Office du Tourisme, du Thermalisme et des Fêtes de la ville de Spa chargea l’architecte de notre ville François Bourotte de restaurer le monument de la source tandis que la famille Poncin lui confiait la restauration du café-restaurant.
En s’aidant des documents photographiques anciens et des relevés faits par Mr Ivan Dethier, cet architecte fit réédifier à leur emplacement primitif la niche et le pavillon érigés autrefois à l’initiative de Von Burgsdorff en les replaçant dans un cadre de verdure approprié. Les parties manquantes furent exécutées par les marbriers Lejuste qui utilisèrent le marbre de St Remy.
Quant au bâtiment reconstruit, son aspect rappelle aujourd’hui celui du XVIIIe siècle.
On ne peut que féliciter Monsieur François Bourotte et tous ceux qui ont oeuvré à cette restauration du résultat obtenu qui, comme nous l’avons dit au début de cet article, a fait de Géronstère la plus belle des sources de la ville d’eaux.
Léon Marquet.
[1] Voir ce dessin p.17 du catalogue de l’exposition de la CGER. Histoire d’eaux – Stations thermales et balnéaires de Belgique.
[2] Voir l’article de Monsieur François Bourotte dans Hist. et archéologie Spadoises du 5 décembre 1975.
[3] La texte de cette attestation, qui fut enregistrée dans les Oeuvres de loi de Spa, conservées aux Archives de l’Etat à Liège, est reproduit dans le tome I [P.324) des Amusemens des eaux de Spa (réédité par Culture et Civilisation, 1975].
[4] voir article cité en note 2.