Le Perron de Spa

Iconographie commentée

La première représentation du perron de Spa se trouve sur la vue de Jean Valdor de 1603 (A) où un dessin sommaire montre un monument pris du nord-ouest et formé d’un fût tronconique reposant sur un piédestal de plusieurs marches.

Quelques éléments non identifiables existent à la base de cette colonne. Le sommet se compose d’une sphère garnie de deux bras latéraux et surmontée d’une croix. (l)

Un examen minutieux de la première et précieuse vue générale de Spa de Gilbert Pierriers datant de 1559 et prise sous le même angle que la gravure de Valdor permet de conclure à l’absence de perron à cet endroit (2).

Fragment de la vue de Spa de Jean Valdor (1603);
Le perron est à gauche de la fontaine du Pouhon.
Musée de la Ville d’Eaux.

Bien que Ferd. Henaux cite sans référence la date de 1457 de l’érection du premier perron de Spa, Albin Body produit une ordonnance de 1591 du Prince-Evêque de Liège accordant à Spa un franc marché et un perron, ainsi qu’un acte communal de 1594 relatif au payement de la construction de ce monument que l’historiographe situe en cette même année. (3)

Ensuite Jan Bruegel II dit de Velours nous montre le perron pris du côté est dans sa vue de la place du Marché à Spa, dessin à la plume signé et daté du 22 août 1612 (B).

La structure de l’emblème communal se compose d’un piédestal pyramidal de cinq marches sur lequel deux pierres plates taillées soutiennent la colonne au pied carré et au fût formé de deux parties d’égale longueur séparées par un anneau circulaire.

La supérieure semblant être ronde et l’inférieure à pans coupés.

Quatre arcs-boutants en fer soutiennent l’obélisque. Une sphère sommée d’une croix fleuronnée ou trèflée couronne l’édifice. En comparaison de la taille des personnages, la hauteur du perron pourrait osciller entre cinq et six mètres. (4)

La Place du Marché et le Perron à Spa, 5 septembre 1641.
Anonyme.
Musée de la Ville d’Eaux.

Une représentation ultérieure très précise du perron de Spa figure sur un exemplaire d’une série de dessins de la ville exécutés à la plume et teintés en 1641 par un artiste anonyme (C).

Ces dessins appartiennent au musée communal qui en a réédité dix exemplaires datés.

Albin Body en fait la description suivante (3) :

 » Le petit monument était placé devant la Halle. Sa substruction consistait en cinq marches ou degrés de forme hexagonale et disposés en pyramide, au centre desquels, sur un socle, quatre lions accroupis supportaient le perron. Le fût ou la colonne comportait deux parties d’égale hauteur que séparait une moulure ou bourrelet ; l’inférieure était à pans coupés en chanfrein ; l’autre, superposée, avait la forme cylindrique. Le chapiteau, fait d’une boule ou sphère était surmonté d’une croix fléchée  »

La hauteur est semblable à celle du perron de Bruegel.

Par contre les ferrailles de soutien ont disparu. Les lions assis sont bien apparents alors que ces figures héraldiques ne se distinguent pas sur la vue précédente.

Par après, la suite de quatre estampes d’Allart Van Everdingen (1621-1675) du Musée de la Ville d’Eaux contient une vue de la place du Marché avec le perron et la fontaine du Pouhon (D).

Selon Drugulin, spécialiste de Van Everdingen repris par Dutuit, on peut donner à ces pièces la date approximative de 1655 et 1656 (5).

Il semble que le perron de Spa ait été renouvelé : l’obélisque formée d’une colonne cylindrique d’une seule pièce est plus haute et plus effilée. Par rapport à la taille des adultes à proximité, la hauteur en est estimée à sept mètres. Elle repose sur quatre marches. La croix trèflée a fait place à un signe métallique de la Rédemption. Quatre arcs-boutants en fer entourent la colonne. Il s’agit peut-être des éléments réparés en 1657:

 » J’ai replonquy un des barres de fer du péron (j’ai remplacé une des barres de fer du perron) Estat du bourgmestre Thomas Leloup  » (3)

Deux panonceaux ovales semblent être attachés au milieu de la colonne. Il n’est pas possible de distinguer la présence des lions, masqués peut-être par deux silhouettes féminines.

Un personnage assis sur une marche déploie une feuille sur les genoux : S’agit-il de l’auteur représenté par lui-même et dont la signature est en cartouche dans le coin inférieur droit ? Ce monument fut démantelé en 1674.

Dans une étude consacrée au Boultê, Ferdy Théatre suppose que cette colonne de pierre à l’origine mystérieuse, proche de la Baraque Michel soit le perron d’une localité proche de la région fagnarde.

La première citation relative au Boultê est faite lors de la visitation du comte de Valvasoni en 1744. Son existence devait remonter à une date ancienne car en 1749 on le cite en état de délabrement (6). Or, le fût cylindrique de l’ancien perron de Spa était assez élevé pour entrer dans la construction du Boultê haut de quatre mètres cinquante cm… cette conjecture nécessiterait d’autres arguments pour devenir thèse …

Cet ancien perron fut remplacé en 1674 par une fontaine d’eau douce ainsi décrite par l’auteur des Amusemens des Eaux de Spa (1734).

La Fontaine du Perron,
l’Hôtel de ville, le Pouhon Pierre le Grand à Spa en 1825

 » Elle est élevée d’environ vingt-cinq pieds, en forme de pyramide. Elle est entourée d’un treillis de fer, dans lequel on entre par quatre ouvertures que l’on y a laissées : on y monte par quelques degrés, pour pouvoir puiser l’eau qui tombe en cascade dans les quatre coquilles qui y servent de réservoirs. Ces coquilles sont continuellement remplies par l’écoulement d’un bassin supérieur, qui reçoit à son tour l’eau qui tombe de la gueule de trois grenouilles de bronze, qui sont posées dans un tas de roseaux de même métal au haut de la pyramide. Ce groupe est terminé par un perron de plusieurs marches, qui est la pièce principale des Armes de Liège « .

Ce nouveau perron de bronze était surmonté d’une pomme de pin et d’une croix. (E)

Ce monument en ruine en 1850 fut démoli après cette date et les morceaux furent déménagés.

En 1898, on réédifia la fontaine et son emblème à l’emplacement actuel, mais il s’agissait d’une mauvaise reconstitution de l’ancienne (7) (8).

La symbolique du perron de Spa

Le perron était l’emblème des franchises communales, confirmait les droits de bourgeoisie et l’immatriculation du bourg de Spa aux bonnes villes du pays.

Mais il était aussi le symbole de l’autorité religieuse, judiciaire et administrative du Prince-Evêque.

Il servait de tribune à la proclamation des édits du prince appelés « cris du perron » ainsi que des mandements communaux (8).

L’étymologie du mot perron est le latin petra, la pierre qui a donné le médio-latin petrona puis le roman, peron, peroun, pierron qui signifie grosse pierre (9). Ainsi fut appelée la pierre de justice, où siégeait en plein air, conformément au vieil usage germanique, les titulaires des juridictions locales.

Sur les anciennes pierres de justice, on superposa une colonne.

La colonne du perron est toujours posée sur une plate-forme de pierres maçonnées, survivance de l’antique pierre (10).

En Belgique, aucun élément ne nous permet d’affirmer que les perrons soient les successeurs des mégalithes ou encore des pierres de justice. Par contre, en Ecosse, de nombreux monuments subsistants permettent d’établir la filiation du perron à la pierre antique. Il s’agit des « market crosses » ou croix de marché qui jouaient le rôle de nos perrons.

Si certains sont élaborés avec socle à degrés, fût taillé, sphère et croix, d’autres sont de simple pierre levée posée sur une autre, d’autres dégrossis ont l’aspect des menhirs bretons christianisés (1l). Sur la pierre ou la colonne apparut la croix dont l’apposition sanctifia le maintien ou l’introduction du perron dans la société chrétienne. Ces croix de juridiction sont elles-mêmes la forme donnée depuis un temps immémorial aux mégalithes qui servirent de siège aux tribunaux. (10)

La croix haussée sur degrés apparut sous Théodose II, empereur d’Orient (408-450). Les monnaies mérovingiennes et les monnaies byzantines du VIIe siècle portent cette croix haussée.

Le premier perron figura sur le denier liégeois de Rodolphe de Zaeringen (1167-1191). Par la suite, ce palladium fut maintes fois représenté sur les pièces de la principauté, mais toujours sous la protection de la croix.(12)

Passons maintenant en revue l’ancien perron de Spa et ses éléments constitutifs en essayant de formuler une explication quant à leur signification symbolique. Nous entrons ici dans le domaine de l’ésotérisme historique.

Le perron de Spa est à l’image des armes de la principauté de Liège portant sur l’écu un perron à trois marches placé entre les lettres L et G, couronné d’une pomme de pin et d’une croix et reposant sur quatre lions couchés.(13)

Son socle formé de plusieurs marches de pierre est issu de la pierre de justice primitive. De forme pyramidale, elle permet l’ascension du héraut représentant l’autorité.

Les lions datent de la féodalité, ils figurent sur les armes des seigneurs de Franchimont :  » D’argent à trois lions de sinople armés et lampassés de gueules et couronnés d’or » (13)

Le fût représente l’antique pierre dressée des religions païennes.

Un tore ou anneau mouluré orne le milieu de la colonne.

Selon Goblet d’Alviella, à Liège, un cercle de fer servit à assembler deux fragments de la colonne brisée par accident en 1448. Cet anneau fut reproduit en pierre et copié dans les autres perrons de la principauté.

La sphère symbolise le monde ou encore le mont Golgotha sur lequel Théodose II fit ériger une croix gemmée.

En 1674, à cette sphère succéda une pigne ou pomme de pin issue de l’influence gallo-romaine.

Le musée germano-romain de Cologne conserve quatre pommes de pin en pierre qui couronnaient les tombeaux de l’époque ; leur surface est lisse mais d’autres sont ornées d’écailles. Les pins et les cyprès toujours verts étaient le signe de l’immortalité. C’est pourquoi les pignes placées sur les monuments funéraires donnaient l’espoir de la vie éternelle (14).

Contenant de nombreuses graines, la pomme de pin est aussi l’image de la fécondité. Certains y voient l’image de la vie associative par l’organisation pyramidale, symétrique et harmonieuse des écailles du cône.

Enfin la croix domine le passé païen et les religions oubliées.

Son pied s’enfonce dans le globe, l’univers, et dans le monument symbole de l’autorité temporelle et spirituelle.

La situation sur la place du Marché était voulue pour marquer l’endroit des échanges commerciaux. (3)

La fontaine d’eau douce ornée du perron (1674-1850) avait une fonction utilitaire et un rôle décoratif. Les lions médiévaux furent remplacés par des grenouilles de bronze, emblèmes de l’élément liquide qui fit la fortune de Spa. Les Spadois l’appelèrent la fontaine aux crapauds. (3)

Le perron de SpaConclusion

La fontaine actuelle du perron devant l'Hôtel de ville est le symbole de l'histoire de la communauté spadoise.

La Ville de Spa, dont la prospérité est liée au thermalisme ne devrait-elle pas lui rendre vie pour le plaisir des habitants et des visiteurs ?

" Point de belle fontaine où la distribution de l'eau ne forme pas la décoration principale " (Diderot)

Louis Pironet.


Références
(1) Pironet, L. La vue de Spa de Jean Valdor, 1603. Hist. Arch. Sp. sept 79
(2) Dans: Gilbert Lymborch. Des fontaines acides de la forest d’Ardenne.
(3) Body, A : Spa Histoire et bibliographie, T.III p.445 à 458. Ed. Culture et Civilisation Brux. 1981 (réédition de 1902)
(4) Pironet, L’album du voyage à Spa de Jan Bruegel II dit de Velours Hist. Arch. sp. déc.1987.
(5) In Eugène Dutuit : Manuel de l’amateur d’estampes. Ec.flamande et holl. T I. p.293, 341 à 343. Paris 1881, lib. centr. Beaux-Arts. La reproduction format carte postale du musée porte la date de 1650
(6) Ferdy Théatre : A la rencontre du Boultê. Rev. Hautes Fagnes, 192,193,194.
(7) Jacob G.E. La fresque géante de la place de l’Hôtel de Ville Hist. Arch. sp. juin 1976.
(8) Jacob G.E. Rues et promenades de Spa. Ed. Culture et civilisation Brux;1983, p. 251 à 256.
(9) Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe S. par Frédéric Godefroy, T.VI
(10) Goblet d’Alviella. Les antécédents figurés du perron. Bull. Acad. royale des Sciences Lettres Beaux-arts « ème série,T-XXI Brux. 1891, p.239 à 272
(11) Idem: Perrons de Wallonie et market-crosses de l’Écosse, idem. Brux. Hayez impr.1914 p.4.
(12) Chestret de Haneffe: Numismatique de la principauté de Liège. Liège 1901
(13) Max Servais: Armorial des provinces et communes de Belgique. Crédit communal de Belgique 1955
(14) Römer Illustrierte 1-1974 bl. 257. Herausgeber: Römisch-Gerrnanisches Museum der Stadt Köln.


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