Mythologie et Bête de Staneux

Vue sur la forêt de Staneux

Vue sur la forêt de Staneux

Une légende est l’histoire d’un événement ancien venue à pied du fond des âges. Pendant ce long cheminement, le fait réel s’est déformé sous l’influence de l’imagination, de la partialité, de l’intérêt économique et politique, des sentiments religieux ou des défaillances de la mémoire. Les légendes d’un pays se fondent dans le folklore, connaissance des traditions et des arts populaires.

Entre Wayai et Hoëgne, dans la forêt de Staneux au nord de Spa, citée en 827 sous le nom d’Astenatum (1), toponyme obscur que l’on met en relation avec Astenet et le verbe latin astenare (s’étendre vers … ) est celée la légende de la Bête de Staneux.

Sources écrites et iconographiques

Nous citons les témoignages ci-dessous qui ont donné naissance à bien des récits romancés et apocryphes.

Tout d’abord un jugement touchant le bois de Staneux, l’an 1476, dont une copie tirée hors d’un registre du château de Franchimont se trouve aux archives de Theux (liasse 1 Communauté : Pièces analysées 1300-1599. Archives de l’Etat à Liège) :

« Les habitants de Polleur … prétendent avoir droit au dit bois de Staneux … pour avoir tué (à ce que l’on dit par tradition) une beste, dite la beste de Staneux, qui doit avoir été de la figure du Sagittaire, comme les astrologues le dépeindent et de laquelle on voit encore diverses images semblables dans le dit village de Polleur … » (2 p.9)

Le sagittaire, signe zodiacal, est représenté par un centaure tendant un arc.

L’historien Detrooz parle de Polleur en 1809 :

« C’est le plus ancien du pays et le seul, dit-on, qui existoit entre la ville de Trèves, le pays des Eburons et celui des Tongrois avant le premier siècle … » Il dit aussi qu’à Polleur se célébrait la fameuse fête de la Cour du Coucou, au mois d’Août.(3) Pour juger les maris cocus, un tribunal burlesque s’assemblait sur le pont; celui-ci est passé dans le langage populaire wallon sous la forme de dicton : Inn pass mâie nolu, s’ol pon d’Poleur, kie n’âie si law’. Il n’est personne, passant sur le pont de Polleur qui ne soit brocardé. »(4)

Le docteur Bovy nous transmet deux représentations de la Bête de Staneux :

« A cette cérémonie présidait l’image de la Bête de Staneux,- c’est un tableau peint sur toile, représentant une sorte de Centaure, moitié femme et moitié cheval, avec une queue de lion. La tête est ornée de longs cheveux: le haut de la poitrine présente la conformation d’une personne du sexe bien développée, ayant des bras et des mains. De la gauche, elle tient un arc, et de la droite une flèche. Ce tableau était exposé à la vue des curieux dans un cabaret de l’endroit ; il n’a cessé de figurer en public jusqu’en 1789, lorsque la fête de la Cour-du-Coucou a été supprimée. De temps immémorial, il était soigneusement conservé dans l’église paroissiale, c’est seulement depuis 60 ans que le curé l’en a fait sortir, de même qu’une statue en bois, grossièrement taillée, qui occupait une place dans le parvis de l’église; cette dernière a été mise au feu… » (5)

Les images de la Bête de Staneux qui étaient conservées dans les maisons de Polleur, que nous connaissons sont de deux types. Le modèle féminin ou le modèle du centaure. Une copie d’un tableau de ce dernier modèle portant la date de 1742 a été remise par Aristide Dethier au docteur Bovy. Ces deux représentations furent publiées en 1838. L’effigie de 1742 appartient à un collectionneur particulier (6)

Xavier Janne nous transmet le récit de l’abbé Boniver de Theux disant que vers 1875 son imagination fut bercée par les contes de ses ancêtres rapportant qu’un vilain centaure, gros mangeur de corps humains, avait été abattu jadis à Staneux par une troupe de gens décidés, aux temps très lointains, précédés eux- mêmes d’une époque où vivaient dans notre région, l’ours, l’auroch et le mammouth… (2. P. 19)

Selon Detrooz, les annales de Trèves disent que Saint Materne avait coutume de gîter à Polleur, lorsqu’il allait de Trèves à Tongres. St Materne fut envoyé dans les Gaules par le successeur de St Pierre au Ill e s. Il fonda les diocèses de Cologne et de Trèves dont il fut le premier évêque. (7)

Qui se cache derrière la Bête de Staneux ?

Si St Materne évangélisa la région au III e s. ses successeurs durent encore lutter pendant des siècles contre la religion et les croyances païennes. La Bête de Staneux est-elle une divinité ancienne proscrite en ce bois par les néophytes chrétiens que la croyance populaire a transformé en monstre, péril de l’âme puis du corps ? A la lumière des détails sur ce sphinx, nous passons en revue le panthéon gallo-romain.

Diane, déesse des forêts et des sources minérales

Le sagittaire, représenté par le centaure tendant un arc, était consacré à Diane par les Romains. La déesse gauloise des montagnes et des forêts portait le nom d’Arduina ou d’Abnoba. Les Romains l’associèrent à Diane, la protectrice des régions forestières.

Diane, déesse des forêts et des sources minérales

Diane, déesse des forêts et des sources minérales

Diane était la déesse de la Lune, de la chasse, des forêts, de l’Ardenne. Elle transforma la nymphe Aréthuse en fontaine. Elle était déesse tutélaire des sources et de la santé comme en témoigne une inscription à son nom sur un anneau de bronze de 2 kg trouvé à Vichy. Elle est aussi à Néris-les-Bains sur un bronze figuré de 1 m. de haut environ (8 p.56). Diane figure aussi sur 2 fragments de pierre à Baden-Baden. A Wiesbaden, elle portait le surnom de Mattiaca du nom de la station thermale qu’elle couvrait de sa protection : Aquae Mattiacae. (9 p. 176,177)

Les fontaines spadoises bornent le Staneux au sud et au nord-ouest, des sources d’eau tiède jaillissent à Juslenville, Forges Thiry, Wislez. Dans le temple gallo-romain de Juslenville, on a trouvé une petite figurine de couleuvre en fer et en laiton, peut-être la couleuvre d’Esculape, dieu de la médecine et une petite statuette de sanglier en bronze. Ce même sanglier trouvé dans les Ardennes françaises chevauché par une déesse indigène correspondant à Diane (10 p.24, 167 à 170, 180 à 182).

Hygie, la déesse de la santé est souvent accompagnée d’un serpent enroulé autour du bras comme la statue en grès découverte à Sainte-Fontaine de Freyming-Merlebad (Moselle) en 1867 (11). Dans les stations thermales gallo-romaines, le serpent symbolise l’action fortifiante de l’eau après un séjour dans les entrailles de la terre. Il est présent à Vichy sur deux figures en pierre blanche. Esculape est représenté debout sur un bas-relief en pierre à Vichy tenant de la main gauche un bâton autour duquel s’enroule le serpent (8 p.57). Ce qui a donné naissance au caducée, symbole des professions médicales. La ville thermale allemande de Schlangenbad (le bain des serpents) doit son nom à la présence de la couleuvre d’Esculape dans ses environs. Très rare en Europe du nord, fut probablement acclimatée par les Romains en ce lieu comme serpent d’un temple dédié à Esculape ou à Hygie (L.Pironet: : Le champignon du Parc de Sept-Heures à Spa. H.A.Sp. juin 1991, p.87, 88)

Des légendes rapportées par Jean d’Outremeuse parlent du combat de St Remacle et de Diane à la Fontaine de la Sauvenière à Spa et de la construction de la 1ère église de Verviers dédiée à ce saint sur l’emplacement d’un temple de Diane (2 p.23, 24). Sur un dessin de 1661 du retable de l’abbaye de Stavelot fabriqué au Xlle s. et regrettablement perdu par les moines au XVIlle s. St Remacle est représenté assis sur une base de colonne à côté d’une fontaine qu’il vient de sanctifier. L’évangélisateur fait abattre le bois sacré, renverser la statue de Diane, poitrine nue, brisée aux côtés de son lévrier, d’un arc et de deux roues, débris de son char, avant d’élever le monastère de Malmedv (12)

Le manoir des Lébioles (source : http://www.parafly.be )

Le manoir des Lébioles (source : http://www.parafly.be )


Au XlVe s. Jean d’Outremeuse décrit l’arrivée du saint dans cette région au Vlle s.parmi les « … Ydolles et leurs ymagenes, sicom Dyanes et altres ydolles dyaboliques… » Saumery, dans ses Délices du Pays de Liège (1738-1745) parle des débris des autels de Diane dans la vaste forêt des Ardennes (2 p.2) Une belle statue de la divinité grecque Artémis identifiée plus tard à la Diane des Romains, réplique de l’original au Musée du Louvre à Paris agrémente, dans un berceau de verdure, le parc du manoir de Lébioles à Creppe. (13)

Epona

Epona

Epona

Après Diane chasseresse, chaste, vierge indomptée de l’amour, la Bête de Staneux évoque la bonne déesse Epona, la protectrice des chevaux et des écuries, représentée souvent montant en amazone mais également divinité de source, comme l’indiquent un bas-relief découvert à Luxeuil-les-Bains et un autre à Néris-les-Bains :

« En Gaule, comme en d’autres pays, la source jaillissante a été assimilée à un animal impétueux et rapide. Epona a été d’abord, non la source du cheval, mais la source-cheval représentée par une cavale.Avec le progrès de l’anthropomorphisme, on mit une femme sur le cheval et la source-cheval devint la déesse équestre, protectrice des chevaux et de leur multiplication »(9 p.210)

Le Dieu Cavalier

S’appuyant sur une présomption archéologique, comme vu ci-après, une troisième explication du mythe de la bête du Staneux pourrait être avancée du fait de l’existence des colonnes au dieu cavalier dont 160 exemplaires sont connus situés principalement dans l’est de la Gaule, élevées à la ville ou à la campagne, dans des temples, des cimetières, aux carrefours, près des rivières et des sources. Ainsi, en 1965, deux fragments du dieu cavalier terrassant deux géants anguipèdes (dont la partie inférieure du corps a l’aspect d’un serpent) ont été retrouvés à Tongres, à l’endroit d’un temple. Ces vestiges datés du Ile s. seraient en calcaire jurassien originaire du massif de Longwy. La statue appartient à l’art officiel romain, ce qui indique l’existence à Tongres d’un excellent atelier de sculpture à cette époque.

Ce cavalier aux 2 géants anguipèdes devait couronner un monument religieux, commun en Gaule et en Germanie, constitué d’une base carrée « la pierre aux quatre dieux », chaque face représentant une divinité, le plus souvent Junon, Mercure, Hercule et Minerve, ou encore Mars, Apollon, Diane ou Vénus. Sur cette base, une pierre octogonale ornée de figures, puis une colonne ronde, d’une hauteur de 2 à 12 m. Sur un chapiteau le cavalier couronne le monument. Il s’agit d’un Jupiter gaulois cuirassé, brandissant le foudre, arme et attribut divin terrassant un géant anguipède (le modèle tongrois à 2 monstres est exceptionnel). Jupiter, dieu cosmque vainc l’anguipède, symbole de stérilité et de mort; il domine ainsi les forces destructrices menaçant animaux et récoltes (14). Cette effigie représente aussi la victoire du bien sur le mal, de la vie sur la mort, de la religion sur l’hérésie, de l’ordre sur le chaos, de la civilisation sur l’anarchie, de l’empereur sur les barbares (15).

Or, selon l’archéologue Paul Bertholet (10) :

« Le fût des actuels fonts baptismaux ( dont la cuve est romane, Xlle s. et la base gothique) de l’église de Theux ressemble beaucoup à une pierre aux quatre dieux – en calcaire blanc – sans doute évangélisée par les évangélisateurs. Chacune des quatre faces montre sculpté en relief dans une sorte de niche, un enfant nu de sexe masculin ( dans trois cas au moins) présenté de face, de dos, de profil. Si trois de ces sculptures ont pu être transformées, la quatrième parait bien être originelle. L’enfant de profil est ailé et ses mains tiennent chacune une sorte de sphère, thème que l’on retrouve par exemple sur un pilier romain découvert à Paris dans la Seine ( génie ailé de profil jouant avec une sphère). »

La légende populaire de la Bête de Staneux pourrait tirer aussi son origine de l’existence d’une colonne au dieu cavalier. Ce monument religieux païen qui symbolisait la vertu serait devenu l’image du mal lors de l’évangélisation. Après avoir été démantelée, la base aurait été purifiée par incorporation dans le sanctuaire chrétien de Theux… mais ceci n’est qu’une hypothèse ! A noter que l’origine de l’église de Theux est liée à la présence du palais carolingien signalé à Theux en 820 et 827 et qui existait certainement à la fin du Vlle s. lors de la donation faite à l’abbaye de Stavelot vers 648 et restreinte en 670 (6 p.97)

Mithra

Mithra

La Chasse de Mithra

En 1557,Pighius, bibliothécaire du cardinal Granvelle, releva à Theux deux inscriptions lapidaires dédiées à Mithra, le dieu invincible qui ne furent publiées qu’en 1874. Le lieu précis de ces trouvailles n’étant pas indiqué, elles peuvent provenir de n’importe quel endroit de l’ancien chef-ban de Theux (Communes de Theux, la Reid, Polleur et Pépinster sous Cornesse) ( 10 p.44,45).

Mithra, dieu solaire de la victoire était en honneur dans l’armée romaine qui installait son culte dans tous les lieux de garnison. Le grand relief d’Osterburken montre Mithra à cheval tirant une flèche et accompagné d’un lion. Près du mithréum de Neuenheim fut découvert un relief figurant le dieu galopant au travers d’un bois de cyprès et tenant le globe terrestre dans la main droite. Un lion et un serpent accompagnent le dieu symbolisant les éléments feu et terre. Il faut noter que la Bête de Staneux est pourvue d’une queue de lion et que le serpent était présent dans le fanum de Juslenville.

Les fouilles du Mithréum de Doura-Europos sur les bords de l’Euphrate en Syrie, révélèrent deux fresques montrant Mithra chassant à cheval, tirant l’arc sur le gibier percé de flèches, accompagné du serpent et du lion.

Ces scènes de chasse sont interprétées comme étant le combat entre Mithra et les forces des ténèbres. (16)

Autres hypothèses :

Pour expliquer le mythe de la Bête de Staneux, on pourrait imaginer la scène d’une druidesse chevauchant dans le haut Moyen-âge et mise à mal par les néophytes chrétiens. Retenons enfin le scénario de quelque sorcière excentrique à cheval tuée par les gens de Polleur…

Conclusions

Seules des découvertes archéologiques en forêt de Staneux ou en ses abords permettraient d’expliquer la légende de la Bête. Le mystère de la légende de la Bête de Staneux est un attrait supplémentaire pour les amoureux de la vieille sylve grandement menacée par le calamiteux projet d’une route de vidange de la production minérale et limonadière locale. L’image de marque de Spa Monopole est pourtant faite de « nature ». Puisse le slogan publicitaire comparant la pureté baptismale de l’eau parfaite à la chaste nudité féminine protéger la forêt de Staneux

« Reste comme tu es »

Louis Pironet.


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