Les nutons : des êtres mystérieux !

nutonsLes nutons tiennent une place très intéressante dans le folklore de notre région. Ils sont évoqués dans de nombreux récits, contes et des lieux-dits : la grotte des nutons, la cascade des nutons, le trou des nutons rappellent leur présence dans le paysage de nos forêts.
Dans les  » Nutons de Wallonie et leur origine « , Dantinne fait un recensement des sites liés aux nutons. Il trouve 11 trô dè nutons, et 25 grottes liées aux nutons par une légende dans la province de Luxembourg, 24 grottes dans la province de Namur. Dans la province de Liège, l’auteur ne trouve que 11 trô dè nutons car les termes sottais, massotè et dûhon sont en concurrence avec nutons. Dans la province de Hainaut, l’auteur rencontre 9 fois les nutons.
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Les nutons sont de petits êtres qui vivent en groupe dans des grottes situées à l’écart des villages. Ils ne sortent le plus souvent que la nuit. L’image qui s’impose tout d’abord est celle de petits hommes, vieux, à la longue barbe blanche, sympathiques, travailleurs, experts dans les métiers liés à l’exploitation des minéraux. Ils n’hésitent pas à rendre des services aux humains et à les aider dans les moments difficiles. Ils travaillent également le cuir. Les habitants avaient pris l’habitude de leur apporter le soir, près de leur grotte, des objets à réparer tels que chaudrons, chaussures. Le lendemain, les nutons avaient effectué le travail avec une perfection inégalée.

Albert Moxhet, dans son dictionnaire des légendes de l’Ardenne fantastique (ed hexachordos 1984), précise que l’appellation générale « nutons » se nuance en sottais, massotês, dûhons (région de Robertville), lutons et lutins.

Un article d’Elisée Legros de 1952, « Trois récits de lutins et de fées dans le folklore wallon et le folklore comparé », publié dans les Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne, (janvier-décembre 1952) analyse en profondeur des récits spécifiques de l’Ardenne relatifs aux nutons. Il les compare à des récits de plusieurs pays européens.
Ces contes évoquent plusieurs thèmes identiques avec plus ou moins de détails et des variantes locales. Ils ont été transmis oralement de génération en génération. C’est la raison pour laquelle il n’est pas toujours facile d’en comprendre toute les significations. Ils sont cependant porteurs d’idées, de mythes relatifs à la vie des hommes, à notre vie, nos peurs, nos espérances.
Vous trouverez un récit très complet dans la brochure « Terre de Hoëgne, Terre de convivialité », guide des promenades. On y trouve plusieurs thèmes qui donnent une image un peu différente du nuton qui n’est pas toujours ce petit personnage joyeux et bienfaisant.

Le nuton qui enrichit le paysan

Dans les contes, le nuton apparaît comme un être bienveillant qui assure la prospérité des habitants d’une maison où règnent l’ordre, l’économie, le travail et la bonne conduite. C’est la nuit, discrètement, que petit à petit, grain après grain, qu’il apporte le bien-être aux humains qu’il a pris sous sa protection. La manière dont il s’y prend pour procurer l’aisance matérielle à son protégé reste assez mystérieuse. Ce dernier doit rester discret. Il s’agit aussi d’être persévérant, patient et reconnaissant. On est loin du don d’un immense trésor qui tomberait dans les mains de notre paysan et qui risquerait de déstabiliser l’organisation sociale de la famille.

Tout se déroule à merveille jusqu’à ce que la cupidité du villageois ou de sa femme ne les pousse à se moquer du travail apparemment modeste du nuton.
Ainsi, « des nutons qui avaient été pris de compassion pour un paysan fort pauvre, lui vinrent en aide et lui apportèrent tout ce dont il avait besoin. Un soir, l’homme eut l’intention d’en savoir un peu plus sur le comportement des nutons, il se cacha la nuit pour épier les petits hommes qui se rendaient dans sa maison chaque nuit. Il vit ainsi un nuton qui portait un épi en gémissant sous le poids de sa charge. Notre homme eut la malencontreuse idée de se moquer du nuton et de lui dire « Comment peux-tu te plaindre en portant un si petit grain ; ce n’est pas avec un si petit épi que tu vas me faire riche ». Le nuton n’apprécia pas cette plaisanterie et le peu de reconnaissance de son protégé. Le nuton est très susceptible et rancunier : il dit à l’homme « épi par épi, je t’ai enrichi, gerbe à gerbe je te reprendrai tout » (la ritchèsse lî èst v’nue pâte à pâte, mais èle s’en va djèbe à djèbe). A partir de ce moment, les récoltes furent mauvaises, le bétail périt, la misère s’installa dans la maison.

nutonsOn saisit dans ce thème un aspect moralisateur du conte. La richesse vient à celui qui travaille honnêtement et qui, tout en sachant garder un secret, sait être reconnaissant.

Le nuton amoureux éconduit

Un autre thème très fréquent dans les contes est celui du nuton amoureux. Il va nous montrer notre nuton sous un autre jour, nettement moins sympathique où des relations contradictoires, ambivalentes se développent entre les nutons et les habitants.

Il n’est pas rare en effet de voir des nutons fréquenter assidûment une maison où demeurait une jeune fille. Il comblait de bienfaits la famille mais il devenait rapidement évident que le nuton souhaitait se faire aimer de la belle et en faire sa femme. La jeune fille bien entendu rêvait d’un autre mariage ; le nuton était si petit, difforme, laid. Encore fallait-il trouver un moyen pour se débarrasser de cet amoureux encombrant.
Les contes nous présentent deux techniques utilisées par la famille ou la jeune fille. L’une d’entre elles consiste à placer devant l’âtre de nombreuses coquilles d’œufs vides dans lesquelles on place un petit bout de bois. En voyant ces coquilles, le nain croit voir une quantité de casseroles et de louches. Susceptible, il présume que la famille veut se moquer de sa petite taille. Une autre explication consiste à dire que son avarice ne pouvait résister à une telle débauche d’ustensiles de cuisine et donc de gaspillage de la nourriture. Quoi qu’il en soit, cette méthode permet aux villageois de se débarrasser du nuton trop entreprenant.nutons
L’autre moyen est plus expéditif. Au moment où le nuton effectue sa visite quotidienne, la jeune fille, sur les conseils d’une vieille voisine, s’installe sur le tas de fumier avec une tartine à la main, qu’elle s’empresse de manger tout en faisant ses besoins. Le nuton dégoûté et vexé s’empresse alors de quitter les lieux pour ne plus jamais revenir. Cet acte ne reste pas sans conséquence puisque les habitants de la maison ne bénéficient dès lors plus des bienfaits du nuton mais pire, perdent petit à petit toute leur richesse.

Le changelin : le nuton voleur d’enfant

Dans cet autre thème, l’image des gentils nutons qui viennent au secours des pauvres paysans s’efface au profit d’une facette beaucoup plus noire. Ils sont des magiciens dont il faut se méfier car ils enlèvent les bébés pour les remplacer par un nuton, le changelin. Louis Banneux a recueilli ce récit en interviewant un ancien garde-forestier de Dochamps en 1910 (publié dans Wallonia t.18 p.105-108).

« Ainsi, un maréchal ferrant, jaloux du travail réalisé par les nutons, avait critiqué la réparation que ces derniers avaient effectuée au soc d’une charrue. Sa femme lui avait pourtant recommandé, en pressant son enfant de deux ans sur elle, de se taire et de ne pas faire de remarques aux nutons, dont elle connaissait la susceptibilité. Rien n’y fit ; l’homme s’entêta. Le lendemain matin, la mère épouvantée vit dans le berceau, à la place de son beau petit bébé, un petit être bizarre, difforme, aux yeux farouches, à la figure grimaçante. Jésus Marie, s’écria la pauvre femme, ils ont échangé mon enfant. Le père en colère s’apprêtait à jeter l’enfant dans le bois mais sa femme s’y opposa fermement car elle craignait pour la vie de son fils. Pendant plusieurs jours, ils cachèrent le petit monstre qui pleurait et criait mais dont on ne pouvait obtenir une parole. La mère éplorée demanda conseil à sa vieille voisine qui avait la réputation d’être guérisseuse. Celle-ci jugea sévèrement le mari cupide. Pour que votre enfant vous soit rendu, lui dit-elle, il faut absolument faire parler le nuton. Dès ce moment, il quittera définitivement les lieux et l’enfant vous sera rendu.

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La vieille indiqua le moyen de faire parler le nuton. Il s’agit, comme dans le thème précédent, de prendre des coquilles d’œufs auxquelles on fixera un petit bâton, de les placer autour du berceau de l’enfant pendant qu’il dort et puis de se cacher et d’attendre. C’est ce que le couple fit la nuit suivante et au chant du coq, l’enfant se réveilla, cria, puis se tut soudainement, étonné de voir toutes ces coquilles d’œufs. Il ne put s’empêcher de s’exclamer « J’ai vu Freyr plain champ et Bastogne plain bois mais je ne me souviens pas d’avoir vu tant de casseroles cuisantes et de louches mélangeantes ». Aussitôt ces mots prononcés, des nutons firent irruption dans la chambre enlevèrent le bavard et le remplacèrent par l’enfant des pauvres gens, étonnés mais ravis. Les nutons disparurent et on ne les revit jamais plus !

Elisée Legros note que les contes évoquant les changements d’enfant conservent presque toujours la même structure ; ce qui atteste de leur ancienneté. Le récit est organisé de la manière suivante : le changement de l’enfant opéré la nuit – l’enfant qui crie, pleure mais ne parle pas – le recours à l’avis d’une vieille voisine – le conseil de ne pas battre l’enfant pour que l’enfant volé ne soit pas battu – la préparation des coquilles d’œufs – les parents cachés, à l’écoute du nuton – le nuton qui s’éveille, est étonné et prononce la formule fatidique manifestant son âge avancé et les nains qui font irruption dans la chambre et quittent définitivement les lieux.

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Pour récupérer l’enfant, il est nécessaire de faire parler le nuton qui a pris la place du bébé. Il faut lui faire avouer qu’il a un âge nettement supérieur à celui d’un enfant incapable de construire des phrases cohérentes. C’est l’effet de surprise provoqué par le grand nombre de coquilles d’œufs qui amènera le nuton à se trahir en prononçant une formule qu’il est nécessaire de traduire « J’ai vu freyr plain champs et Bastogne plan Bois » signifie qu’il a connu la grande forêt de Frèyir (entre Saint Hubert et Champlon) alors qu’elle était un champ et Bastogne alors que la ville était une forêt ; ce qui démontre que le nuton est particulièrement vieux. Les endroits cités varient selon la région où le conte est raconté. En opposant un bois actuel qui fut autrefois un champ ou un plateau dénudé qui est actuellement une ville, le conte montre l’ancienneté du personnage qui a assisté à ces grands changements naturels.
De nombreux auteurs ont tenté en vain de trouver une origine et d’expliquer la disparition du peuple des nutons et autres nains. Des hypothèses ont été avancées telles que la présence d’un peuple pygmée au néolithique, des groupes de nains exclus de la population à cause de leur infirmité et travaillant dans les mines de fer et d’or, des gitans, etc. Bien plus qu’une population réelle, les nutons nous renvoient aux peurs, angoisses face à l’inconnu et aux problèmes rencontrés par les hommes.

Pol Jehin


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