L’élixir de Spa et l’ancienne distillerie Schaltin

L’inauguration officielle des nouveaux locaux du musée de la lessive dans l’ancienne école Schaltin nous a donné l’occasion de rappeler l’origine de ce nom.

Les bâtiments actuels ont été construits en 1967 sur l’emplacement de l’ancienne distillerie Schaltin qui produisait l’élixir de Spa.

Une peinture publicitaire sur le mur d’une maison de la rue A. Bastin

Une peinture publicitaire sur le mur d’une maison de la rue A. Bastin

L’élixir de Spa fut inventé en 1858 par M. Schaltin, un pharmacien de Spa, le Fondateur de l’entreprise. Une légende largement répandue attribue l’origine de l’élixir de Spa à la communauté des Capucins de Spa. Les moines souhaitaient ainsi offrir un produit de qualité aux nombreux visiteurs qui ne manquaient pas de fréquenter leurs jardins, lieux de rendez-vous mondains dès le XVII siècle. Avec la disparition des religieux (1797), c’est aussi la formule de l’élixir qui nous quittait à jamais. Heureusement, selon la tradition, M. Schaltin retrouva la recette dans un manuscrit appartenant à la bibliothèque de l’Ordre.
Photo :  musée de la Ville d’Eaux

Photo : musée de la Ville d’Eaux


En réalité, c’est bien à M. Schaltin qu’il faut attribuer la création de l’élixir de Spa. Il s’était entouré de la collaboration de M. Duplais. Ce Français avait en effet travaillé à la distillerie de «La Chartreuse» en France qui produit un alcool du même genre. Il apporta ses connaissances au pharmacien Schaltin (espionnage industriel ?).

Très rapidement, l’élixir de Spa connaît un très grand succès, et en 1862, on en vend déjà de 40 à 50.000 bouteilles par an à 5Frs le litre. De nouveaux bâtiments sont construits en juin 1862 rue Hanster. L’entreprise se dénomme alors Schaltin, Pierry et Cie.
La qualité de la liqueur lui permet d’obtenir une renommée internationale, consacrée à l’exposition de Londres en 1862.

Dans une publicité datée de 1862, M. Schaltin présentait les mérites de l’élixir de Spa. Durant cette période où les progrès de l’hygiène sont valorisés dans la société, Schaltin n’hésite pas à mettre en avant les vertus quasi thérapeutiques de son élixir, qui faut-il le rappeler, est un alcool à 42°. « Cette liqueur qui occupe le premier rang parmi les liqueurs de table et d’agrément se recommande aux gourmets par sa saveur exquise et son parfum délicat. Elle convient surtout pour ses propriétés toniques et légèrement excitantes aux personnes dont la digestion est difficile. Elle est recommandée dans les cas de syncope, de défaillance et en général dans tous les cas qui exigent de prompts secours pour rappeler les forces de la vie. Prise pure ou étendue de son volume d’eau avant le repas, elle réveille l’appétit, facilite la digestion et dissipe les maux de cœur, les dégoûts et les coliques de l’estomac. En un mot, prise sans excès, on peut dire qu’elle est la liqueur hygiénique par excellence. »

Mais, l’élixir de Spa est rapidement imité, ce qui oblige Schaltin à intenter des procès pour concurrence déloyale notamment en 1883, contre Delleur, distillateur à Liège. L’entreprise continua à prospérer et avant 1940, elle comprenait 3 employés et 5 ouvriers. La direction Fut assurée par M Julien Jason et puis vers 1935 par M Georges Dohogne qui y était employé depuis 1920.

La mode gastronomique allait malheureusement évoluer et les produits sucrés furent de moins en moins appréciés. Devant ces difficultés, la firme Schaltin, Pierry et Cie cessa ses activités et vendit le brevet de fabrication de l’élixir de Spa à la distillerie Debeukelaar à Anvers. C’est donc cette dernière qui depuis 1950 continue la production et la distribution de l’élixir de Spa.

La fabrication de l’élixir

M Georges Dohogne, directeur de l’entreprise Schaltin de 1935 à 1950, nous avait décrit les principales étapes de la Fabrication de l’Elixir de Spa. Les opérations de distillation duraient quatre jours. Le distillateur, M Demaret de Creppe, par la suite M Armand Hérode charge d’herbes un grand alambic (1800 litres). L’alambic est une grande cuve en cuivre (voir dessin ci- dessous). Il y ajoute de l’eau et de l’alcool à 96°. Un second alambic plus petit (1300 litres) est rempli de semences, d’eau et d’alcool.

Cette première opération effectuée, les alambics sont alors chauffés et les vapeurs s’élèvent de la masse en ébullition, passent à travers le col-de-cygne qui relie l’alambic au réfrigérant (cuve où coule de l’eau froide et dans laquelle est placé le serpentin).

Au contact du froid, les vapeurs se concentrent dans le serpentin et deviennent liquide. Ce liquide est appelé l’esprit. Il est recueilli dans des cruches en cuivre de 101itres. L’art du distillateur est alors de régler les vannes pour recevoir avec régularité 10 litres toutes les heures. Cette opération se déroule toute la journée.

Le deuxième jour, on remplace les semences du petit alambic par des racines, et ce après avoir démonté et relavé soigneusement les appareils. On continue donc la distillation des herbes et des racines suivant le même processus (10 litres toutes les 1/2 heure). Les fleurs, feuilles, racines et semences étaient fournies par un herboriste du Hainaut.

Avec un alcoomètre, le distillateur « pèse » ensuite le degré d’alcool de chaque cruche. Il note l’heure de production et le degré de l’esprit. En effet, si au départ l’esprit a plus ou moins 98°, au fur et à mesure de la production, le taux d’alcool diminue.

Ainsi, le distillateur pouvait à tout moment connaître la teneur en alcool de son produit. Les esprits de qualité moins élevée (moins de 800) sont alors séparés; ils seront utilisés dans la suite de la distillation. On les appelle des queues. Par contre, les flegmes, c-à-d les restes de la distillation (- de 400) sont écartés car ils sont impropres à la consommation. Ils seront redistillés pour être vendus comme produit industriel.
Le troisième jour, les trois esprits sont placés ensemble dans le grand alambic. Cette opération s’appelle la rectification. On y ajoute les queues de la distillation précédente. Cette rectification dure encore deux jours. Elle permet d’obtenir 400 litres d’esprit à un degré élevé et d’une grande pureté.

Pour faire l’élixir, il faut encore ajouter du sirop de sucre. Par un dosage savant des divers éléments, le distillateur arrive à réaliser un élixir de 42° dans lequel on retrouve 235 gr de sucre au litre. L’élixir est presque terminé, on y ajoutait alors des extraits de safran qui lui donnaient cette belle couleur jaune-vert.

Les quelque 800 litres d’élixir de Spa sont récoltés dans un fût et refroidis 2 ou 3 jours dans des tonneaux. Ensuite, on envoie l’élixir à l’aide d’une pompe dans deux foudres en chêne. Ces fûts pouvaient contenir 3.500 litres et recevaient le contenu de deux ou trois distillations. L’élixir restait quelques mois dans le foudre avant d’être mis en bouteille et d’être exporté pour la consommation.
L’élixir de Spa était vendu en Belgique et dans le monde entier; plus particulièrement en Angleterre, aux USA, en Espagne, en Allemagne (où une distillerie terminait sur place la dernière distillation et la mise en bouteille), en Roumanie et en France.

Monuments du cimetière qui évoquent les familles Schaltin et Pierry.
Notez qu’on pouvait encore voir il y a quelques années une peinture publicitaire sur le mur d’une maison de la rue A. Bastin (voir photo en tête d’article ci-dessus).

L’élixir de Spa n’est malheureusement plus fabriqué à Spa. Vous trouverez cependant dans les commerces de la ville ces belles bouteilles rondes. Elles sont maintenant vendues dans une boîte en carton.

On peut trouver au cimetière deux monuments qui évoquent les familles Schaltin et Pierry. Il s’agit de deux très beaux caveaux situés dans l’allée des caveaux hors sol. Les associés Schaltin et Pierry ne se sont pas quittés dans la mort. Ces caveaux manifestent le souci de ces familles bourgeoises de notre ville de laisser une trace de leur passage sur terre mais surtout de leur réussite sociale. Profitez peut-être des fêtes de la Toussaint pour aller admirer ces édifices et l’ensemble de l’allée qui constituent un élément unique du patrimoine funéraire wallon.

Pol Jehin


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