La Fagne Malchamps-Bérinsenne a, elle aussi, eu son égaré….

Aquarelle : « Ferme de la famille Neuville-Pirotte ».N. Willem 2012

Aquarelle : « Ferme de la famille Neuville-Pirotte ».N. Willem 2012

Peu de personnes le savent, mais la Fagne de Machamps a été témoin d’un fait malheureux il y a 50 ans. Cette histoire m’a été racontée il y a quelques années par ma grand-mère, qui n’était autre que la fille du disparu.

A l’époque, sur les hauteurs de Malchamps se trouvaient comme aujourd’hui 4 habitations :

  1. L’ancienne ferme, en bordure de route, qui a été transformée en 2006 pour devenir « Le Domaine de Malchamps », était une exploitation familiale appartenant à Mr Emile Neuville et son épouse Maria Pirotte, originaire de Rivage.
  2. La deuxième maison située en retrait (ancien fournil) était à son frère Albert.
  3. En face, l’ancienne maison Defossez, était louée par la famille Goffin-Doutreloux.
  4. La quatrième, actuel bureau de Département de la nature et des forêts, appartenait à la commune de Spa et était louée aux familles Jules et Henri Doutreloux.

Madame Neuville accueillait régulièrement son père, Emile Pirotte, alors veuf et âgé de 82 ans, pour quelques jours. En effet, le vieil homme, habitait en alternance chez ses 3 enfants, c’est-à-dire à Rivage chez son fils Léon, à Lodomez chez son fils Armand et donc à Malchamps chez sa fille Maria.
Comme à son habitude, lorsqu’il venait à Malchamps, il prenait plaisir à aller faire un tour l’après-midi dans les Fagnes, pour revenir avant 16 heures.
Mais en ce vendredi 31 août 1959, le grand-père n’était toujours pas rentré à 16 heures. Sa fille s’en inquiétait, mais c’était l’heure de la traite et le travail n’attendait pas. Elle n’alla jamais aussi vite pour accomplir sa besogne et rentra en toute hâte à la ferme. Elle découvrit malheureusement qu’il n’était pas encore rentré.

Les époux Emile Pirotte-Guillaume entourés de leurs enfants Maria et Armand.

Les époux Emile Pirotte-Guillaume entourés de leurs enfants Maria et Armand.


Elle descendit alors jusque la ferme de Henri et Jules Doutreloux où il aurait pu éventuellement aller dire bonjour. Ne s’y étant pas rendu, mes grands-parents commencèrent alors les recherches, sans succès.
Ma grand-mère prévint alors les autorités de l’époque, le bourgmestre de Sart, Mr Fernand Jérôme, ainsi que le garde-champêtre, Mr François Simar, qui se rendirent sur place pour constater les faits, et organiser les recherches. En effet, avant la fusion des communes, une partie de Malchamps, englobant les fermes situées sur la crête de Malchamps, faisait partie de la commune de Sart. Les recherches effectuées jusqu’à la tombée de la nuit, restèrent infructueuses.
Comme le confirme le rapport rédigé par le cercle des Naturalistes Spadois en 1959 (en vue d’obtenir la réservation de la fagne de Malchamps Bérinsenne), la fagne se présentait à peu de chose près comme aujourd’hui : elle était couverte de landes sèches et de landes tourbeuses, de viviers, de bruyères, de bosquets de pins sylvestres, ainsi que de boqueteaux d’épicéas, sans oublier de-ci de-là de saules, de bouleaux, de sorbiers des oiseaux et de grandes plages de fougères. La seule différence réside dans son accessibilité : il n’y avait qu’un seul sentier traversant d’Est en Ouest correspondant à la petite Vecquée, et du Nord au Sud, il n’existait que des pistes précaires qui rendaient toute pénétration difficile.
Emile Pirotte, notre égaré ...

Emile Pirotte, notre égaré …


Le relevé des conditions climatiques de l’époque indique que les températures en journée avoisinaient les 26 degrés mais qu’elles chutaient la nuit pour ne pas dépasser les 7 degrés ! On imagine facilement le froid qui a dû engourdir le pauvre homme, vêtu d’un simple veston et de sa casquette.
Dès le samedi matin, les recherches reprirent pour retrouver Mr Pirotte. Plusieurs groupes furent formés afin d’augmenter les chances de le retrouver, mais à croire que le sort voulait s’acharner sur notre homme, les recherches ne débouchèrent sur rien. Les chances de retrouver Mr Pirotte vivant diminuaient d’heure en heure, et sa fille désespérait qu’on ne le retrouve. Les recherches furent à nouveau interrompues pour la nuit.
Loin de décourager les équipes de chercheurs, les battues reprirent de plus belle le lendemain matin. La chance allait enfin sourire à un jeune homme de la région, Monsieur Jean Toussaint, qui à l’époque habitait l’Hôtel des Fontaines, tenu par ses parents. Jean Toussaint avait décidé, comme d’autres personnes à l’époque, de participer aux recherches et s’aventura de son côté dans la fagne de Malchamps.
Aquarelle : « Le monument Anglo-Canadien », érigé en 1947

Aquarelle : « Le monument Anglo-Canadien », érigé en 1947


Contrairement aux équipes de chercheurs qui marchaient droit devant eux, Mr Toussaint eut l’idée ingénieuse de fouiller la fagne, en avançant sous forme de spirales, afin de couvrir un plus large périmètre, et ainsi ne négliger aucune piste, où une simple différence de dénivelé pouvait cacher notre égaré. Sa méthode fut payante. Aux alentours de 17 heures, Mr Toussaint découvrit Mr Pirotte couché sous un sapin, non loin du Monument Anglo-Canadien, érigé à l’initiative de l’Aéro-Club de Spa en mémoire des 7 aviateurs alliés de la dernière guerre, qui s’écrasa, comme on le sait, la nuit du 23 avril 1944.

Mr Pirotte se trouvait dans un état de fatigue, d’hypothermie et de déshydratation tel qu’il ne pouvait plus se déplacer. A ce moment précis, l’équipe de battue la plus proche se situait aux environs de la Croix Pottier. Mr Toussaint, étant dans l’incapacité de le transporter seul, avait besoin d’aide, et vu la distance ne pouvait être entendu d’aussi loin. Tout appel était étouffé par la végétation avoisinante. Mr Toussaint eut alors l’idée de pendre sa veste à un arbre afin de baliser le lieu. Et, en toute hâte alla rejoindre l’équipe de chercheurs afin que ces derniers lui viennent en aide. Mr Toussaint s’aida de ses connaissances en scoutisme et construisit un brancard de fortune avec de simples branches et sa veste, aidé des autres chercheurs.

Fait anecdotique, on retrouva dans son veston des friandises (il avait l’habitude de gâter ses petites-filles Marie-Thérèse et Emilie à chacune de ses visites). S’en était-il sustenté ? Tout porte à croire que non. L’hypothèse la plus plausible reste une perte de lucidité de sa part; Mr Pirotte a certainement perdu tout repère à un moment de sa balade et cela a provoqué sa perte.
Madame Jules Doutreloux m’a confirmé dernièrement que Mr Pirotte, jusqu’au jour de cet incident tragique, était sain d’esprit, et exclut le fait qu’il aurait présenté antérieurement des moments de confusion.
Le cortège revint à la ferme familiale afin d’annoncer la bonne nouvelle à la famille et de lui prodiguer les premiers soins. Ma grand-mère fit venir le Docteur Lemaire de Francorchamps, qui conseilla de lui donner des boissons chaudes, non alcoolisées. Si cette aventure ne lui a pas coûté directement la vie, elle en a néanmoins raccourci sa durée. Un mois plus tard, Mr Pirotte décéda ; il ne s’était jamais remis de sa mésaventure, ne retrouvant ni sa lucidité, ni ses forces physiques, contraint de garder le plus souvent le lit, nourri et soigné par sa fille.
Monsieur Toussaint souligna aussi, qu’à chacun de ses passages à la ferme, la famille Neuville-Pirotte l’accueillait chaleureusement, reconnaissante de l’acte qu’il avait accompli.

Noëlle Willem-Remacle, avril 2012.

Sources et Témoignages

  • Témoignage Monsieur Jean Toussaint
  • Chantal Fourneau (Fonds d’Histoire Albin Body)
  • Articles de presse de l’époque ; Vie Spadoise, Le Soir et Le Jour
  • Témoignage de Catherine Doutreloux – Photos, collection privée de Georges Pirotte
  • Rapport rédigé par le Cercle des Naturalistes Spadois « Pour la réservation du dernier Carré des Fagnes Spadoises », de 1959. – Gilberte Fransolet, chef du Service Population- Etat Civil de la commune de Jalhay-Sart.



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