La belle équipe

La période des nombreuses festivités du carnaval arrivant à grands pas, m’offre l’occasion de vous parler aujourd’hui d’une de nos sociétés hélas disparue et longtemps regrettée par la population spadoise, car elle était vraiment unique en son genre à bien des égards, j’ai nommé « La Belle Equipe ».

C’est en effet pendant la dernière guerre, un soir de fin 1943, que quelques amis (onze exactement, dont neuf habitant le quartier du Vieux Spa) qui se réunissaient chaque semaine au Café des Sports chez Robert Devos (actuel immeuble des Mutualités Chrétiennes, place du Monument), décidèrent de commun accord, de fonder une association qu’ils baptisèrent « La Belle Equipe » (appellation qu’ils n’auraient pas pu mieux choisir d’ailleurs !). Ceci, dans le but de créer des animations et organiser des fêtes populaires; mais ce n’est qu’après les hostilités qu’ils purent enfin réaliser librement tous leurs projets.

Animés d’un enthousiasme débordant et d’un dévouement sans bornes, ils triomphèrent de nombreuses difficultés, et tout ce qu’ils organisèrent fut toujours magnifiquement réussi. La tout grande foule et le plein succès étaient à chaque fois au rendez-vous de leurs soirées de music-hall, crochets, concerts, bals de carnaval et autres, superbes corsos fleuris pour enfants, feux d’artifices…et j’en oublie sûrement ! Tous les bénéfices réalisés étaient répartis en chaque fin d’année entre les diverses œuvres locales de bienfaisance.(1)

Mais, me direz-vous, qui étaient donc ces onze gaillards, dont la joie de vivre et la solide amitié faisaient plaisir à voir ? Assez curieusement, ce groupe si sympathique qui aurait pu tout aussi bien se dénommer « Les Joyeux Drilles » ou « Les Gais Lurons », se composait par le plus grand des hasards, de plusieurs « duos » :

– 2 cafetiers d’abord : Robert Devos et Jean Verhaegen
– 2 nommés Goffin, sans aucun lien de parenté : le premier prénommé Gaston, l’élégant directeur du cinéma Lido (actuel Ecran) ; le deuxième, le souriant Pierre, décédé bien prématurément
– 2 boulangers-pâtissiers : Marcel Lemaire, spécialiste des « rombosses » (2), les meilleures de toute la ville et Jean Boussier, un de nos fins pâtissiers d’alors
– 2 beaux-frères aussi : Fernand Decerf, dit Plum, surnom transmis à son fils Jacques et le frère de son épouse : Arthur Sougné qui lui, devint aussi le beau-frère de Marcel Lemaire, car ils avaient épousé les deux sœurs Fraiture (…vous me suivez, amis lecteurs… !)
– Les 3 « solos » restants du groupe étant : Oscar Deflandre, le pince-sans-rire, qui se présentait en ces termes : « moi, je suis le mari de Margot ! » (son épouse, coiffeuse rue de Barisart)
– Paul Havard, assureur de son état et valseur à nul autre pareil
– Antoine Marcotte (le tout dernier membre du groupe des onze fondateurs, décédé l’an passé) et dont l’épouse aux doigts de fée s’était chargée de la confection de leurs uniformes à tous : pantalons bleus ainsi que revers des vestes qui, elles, étaient jaunes.

Le couvre-chef choisi fut d’abord un fez avec une floche mais il fut vite remplacé par le canotier style Maurice Chevalier, qui leur seyait bien mieux ! Ils aimaient aussi beaucoup se déguiser, je me souviens e.a. des « Regrettés Américains » en 1947, lors d’un cortège folklorique magnifique, organisé en début de saison, par le Syndicat d’Initiative d’alors (3) et aussi le groupe des « Pleureuses » à l’enterrement de Mathy Loxhet. Ils étaient aussi souvent convoqués à de nombreuses « réunions d’urgence » au Café du Monico (déjà le même qu’aujourd’hui) devenu leur local officiel depuis que Fernand Decerf et Georgine son épouse en avaient repris l’exploitation. Au fil des ans, comme dans toute société, plusieurs membres fondateurs disparurent, certains prématurément ; ils furent remplacés au fur et à mesure par d’autres de leur génération, puis le groupe s’agrandit, s’ouvrit aux plus jeunes afin d’assurer la relève, et il s’enrichit même dans les années 1965-70, de quelques jolies majorettes. Puis le temps passant, la manière de se divertir et les goûts du public évoluèrent lentement vers certaines autres tendances. La télévision eut une grande part de responsabilité dans le changement de choix des loisirs d’une grande majorité de gens. Le groupe, comme d’autres d’ailleurs, réduisit ses activités, puis il y a une bonne vingtaine d’années, pour différentes raisons dont la moindre ne fut certes pas, paraît-il, la difficulté accrue d’obtenir des subsides, finit par prendre la bien triste décision de se dissoudre. Et c’est ainsi que ce jour-là fut définitivement rangée au rayon des souvenirs cette « Belle Equipe », restée sans conteste dans la mémoire des Spadois, une des sociétés préférées de la directe après-guerre, car à cette époque où l’on sortait des peurs, des privations, et des peines, elle contribua un peu à sa façon, à réapprendre à rire, à s’amuser et à revivre comme avant. Ce que tous ses successeurs continuèrent à faire pendant toutes ses années d’existence, avec le même dynamisme et la même bonne humeur légendaire.

Monique Caro-Harion

1) G.Spailier – Les Cahiers Ardennais Déc.1953- Ed. J’Ose Spa
2) « rombosse » : mot wallon désignant une pomme entière cuite au four dans une enveloppe de pâte (succulente et pratiquement disparue aujourd’hui)
3) Tout à fait par hasard, nos « Américains » posent pour la postérité devant l’ancienne gare démolie et remplacée par le building « Quai d’Orsay ».


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