Souvenirs et anecdotes d’une Spadoise amoureuse des fleurs … Nicole Parmentier

Mon grand-père, Camille Parmentier, né en 1889, était apprenti-coiffeur.
Mais ça ne lui plaisait pas plus que ça. Ce qui l’intéressait, c’était les fleurs, les plantes et aussi les beaux jardins. Il s’est dès lors orienté vers le jardinage.

À l’époque, on apprenait sur le tas et il nous racontait que la première fois qu’il a taillé une haie, il l’a fait avec, dans une main, un livre qui expliquait comment faire et les ciseaux à haie dans l’autre !

Toute sa vie, les plantes, c’était sa passion. Après avoir travaillé à gauche et à droite, c’est vers 1925 qu’il est entré comme jardiner à Esneux, dans la demeure de M. et Mme Montefiore-Levi, le Château Le Rond Chêne.

fontaineIngénieur et homme d’affaires actif dans la région liégeoise, M. Montefiore, comme les notables de l’époque, était un philanthrope. Il a notamment fait don de dix fontaines à la ville de Liège. Destinés aux passants, aux chevaux, aux chiens et aux oiseaux, ces édicules urbains sont connus sous le nom de « fontaines Montefiore », il en existe d’ailleurs deux à Spa, dans le parc de Sept Heures et place Verte.

Demeure des Montefiore à la fin du 19e siècle

Demeure des Montefiore à la fin du 19e siècle

C’est chez les Montefiore que mon grand-père a vu une gravure qui représentait un jardin à la Française et il a été marqué par ce dessin. Il aurait voulu le reconstituer mais le temps lui a manqué car ma grand-mère ne se plaisait pas à Montefiore. C’était pourtant un très bel endroit, mais on devait parcourir un long trajet à pied entre la propriété et l’école où il fallait conduire mon père tous les jours par un chemin escarpé.

Camille Parmentier a eu une proposition d’André Peltzer, qui était un industriel lainier de Verviers, pour devenir le jardinier en chef du Château Peltzer « NivezéFarm » (le 1er Céran actuel) dont il avait hérité en 1921. C’est comme cela que la famille a atterri à Spa. Mon père, né en 1916, a fait sa communion solennelle à Spa, donc ça devait être en 1928 ?

Mes grands-parents, accompagnés de leur fils Charles (mon père), se sont installés dans une petite maison qui était chauffée au charbon. Elle n’existe plus à notre époque mais a été transformée. Le logement et le chauffage faisaient partie des conditions d’engagement.

Au Château Peltzer, il y avait une domesticité importante dont plusieurs jardiniers, la cuisinière, le chauffeur, le valet de pied et les deux domestiques de Madame Peltzer. Mon grand-père était donc le chef jardinier. C’était plutôt un jardin à l’anglaise. Comme dans la plupart des châteaux de l’époque, on y vivait à peu près en autarcie alimentaire. Derrière la maison de mes grands-parents, il y avait le grand potager, un verger et puis le jardin à l’anglaise en lui-même avec une belle roseraie, mais aussi un espace dédié au petit élevage, lapins et poules, ainsi qu’en contrebas, une grande pelouse qui touche la promenade d’Orléans et aussi un étang où l’on élevait des poissons.

Château Peltzer

Château Peltzer


Du temps de mon grand-père, il y a eu en fait trois « Madame Peltzer ». La première n’a pas pu avoir d’enfant, c’est sans doute pour cela que le couple s’est séparé. La deuxième, c’était une Anglaise qui adorait les fleurs. Mon grand-père m’a raconté qu’au Château, un petit réduit lui était réservé et consacré à la confection des bouquets. Dans le jardin, il y avait une zone réservée à la culture des fleurs à couper pour les bouquets et mon grand-père apportait à Madame de quoi fleurir les grandes pièces du Château…

La troisième Madame Peltzer était une Française. Monsieur lui avait offert une propriété en Bourgogne et elle aurait bien aimé que mon grand-père aille jusque-là pour lui donner des conseils quant à l’aménagement des parterres de fleurs et aussi pour s’occuper de l’agencement des jardins, mais ça, ma grand-mère n’a jamais voulu !

Si les salaires n’étaient pas mirobolants, avec tous les avantages de la fonction de jardiner en chef, ma grand-mère n’a jamais eu besoin de travailler à l’extérieur. Parmi les avantages octroyés, le personnel avait le droit, deux fois par an, d’aller chercher des coupes de tissus à l’usine Peltzer à Verviers. Ils pouvaient choisir ce qu’ils voulaient, à l’exclusion d’une couleur nommée « gris Peltzer », qui était exclusivement réservée à la famille Peltzer.

Avec ça, les dames confectionnaient les vêtements pour toute la famille. Je me souviens très bien d’une jupe coupée dans un tissu bleu avec de fines lignes blanches, je m’en souviens d’autant mieux que c’était vraiment un tissu increvable et que je l’ai portée très longtemps !

Keriman Halis Ece, Miss Univers 1932

Keriman Halis Ece, Miss Univers 1932


Des fêtes étaient organisées au château. Ma grand-mère et ma mère m’ont souvent raconté la plus fameuse d’entre elles : l’élection de Miss Univers au Casino de Spa le 31 juillet 1932. Les 27 candidates étaient logées au Grand Hôtel Britannique, mais elles étaient venues en voiture ou en calèche pour être reçues au château. Elles se sont promenées dans les jardins, les journalistes ont fait des photos.
C’est Miss Turquie qui a remporté le titre.

Une année, le service en cristal de la famille Peltzer a été présenté lors d’une grande exposition à Liège. C’était un service magnifique que l’on sortait pour les grandes occasions. Lors de ces évènements spéciaux, la cuisinière appelait ma grand-mère afin qu’elle puisse venir admirer la beauté de la table qui était en plus décorée avec les fleurs du jardin.

Mon père a donc décidé de marcher dans les pas de son père et est parti à Liège à 16 ans pour suivre les cours de l’Ecole Royale d’Horticulture. Il en est revenu diplômé, il a rencontré ma mère. Ils avaient acheté le terrain de la route du Tonnelet pour y construire un établissement horticole, mais en 1940, mon Père a dû partir à la guerre et a été prisonnier pendant 5 ans. Ce sont alors mes grands-parents qui se sont occupés de l’exploitation horticole après leur service au Château. Chacun venait donner un coup de main et on se débrouillait comme tout le monde pendant la guerre. Mes parents se sont mariés par procuration en 1943.
Certaines années, il y a eu des hivers très rigoureux. Ma grand-mère arrosait les chrysanthèmes avec de l’eau tiède pour accélérer la floraison et arriver avec les plus belles fleurs pour la Toussaint. On mettait les plantes sur une charrette et elles arrivaient presque gelées au cimetière ! Mes grands – pères y allaient la veille pour enlever la neige des tombes à fleurir et trouver le nom des gens. C’est eux qui déposaient les fleurs commandées sur les tombes.
A son retour de la guerre, mon père s’est consacré à plein temps à son activité. Il fournissait les plantes aux fleuristes et aux particuliers de la région et même jusqu’à Liège et Vielsalm.

Peu de temps après, j’avais peut-être 4 ans (en 1954), André Peltzer a fait faillite (en 1954 ?), le Château a été vendu et mes grands-parents ont dû quitter rapidement leur logis. Ils ont alors fait construire, en quasi à peine 3 mois, la maison de la rue du Tonnelet (au n°7) sur une partie du terrain de leur fils Charles Parmentier (mon père) et ils sont venus s’y établir pour le restant de leur vie.

Mon père a été président des horticulteurs de l’est de la Belgique dans les années 60. Mon grand-père est décédé en 1973.
La passion des fleurs étant définitivement dans la famille, est-ce par les gènes, est-ce par le fait que dès mon plus jeune âge, j’ai été élevée dans les fleurs et les plantes,  à mon tour, à 19 ans, j’ai décidé de reprendre le commerce de fleurs de M. et Mme Houyon, rue Servais. Je les connaissais très bien car mon père leur fournissait des plantes. Pour pouvoir devenir indépendante, alors que je n’avais pas encore ma majorité, j’ai dû être émancipée. Mes parents ne s’attendaient pas du tout à ce que je devienne fleuriste, mais ils m’ont laissé choisir la vie que j’avais envie de mener.
Voilà, ce sont des souvenirs que mes grands-parents m’ont racontés.


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