Jacques de Bérinzenne, noble officier de l’armée du grand Condé au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle, à l’origine de la ferme qui porte son nom, aurait connu, dit-on, cet ancêtre majestueux.
Agé probablement de plus de 300 ans, il mesure une douzaine de mètres de hauteur et son tronc 4 mètres de circonférence. Il a subi tous les outrages du temps…et de l’âge, il a même été frappé par la foudre.
La question que l’on se pose à son propos, est de savoir comment il est toujours bien vivant ! Il faut savoir, en effet, que la graphiose, une maladie cryptogamique, a décimé les ormes d’Europe occidentale, puis, ensuite, ceux d’Amérique du Nord.
L’orme de Bérinzenne a certainement échappé à l’épidémie grâce à son isolement, son éloignement d’autres ormes, espèces fort rares dans notre région péri-fagnarde.
De minuscules coléoptères, comme Scolytus scolytus, sont les principaux vecteurs des spores d’un champignon parasite, Cerastosystis ulmi, qui envahit les vaisseaux des ormes et se nourrit de sève élaborée.
La maladie s’est déclarée en Europe en 1918. Deux souches de champignons sont actuellement connues. Le rôle des scolytes dans leur propagation ne fut élucidé qu’en 1934 ; ces insectes phytophages creusent des galeries et se reproduisent sous l’écorce des arbres affaiblis ou malades. Après métamorphose, ils creusent un trou de sortie et, attirés par le parfum d’autres ormes vont les infecter à leur tour, par les spores qu’ils transportent.
Le traitement est fastidieux à mettre en place et peu convaincant à ce jour: pose de pièges à base de phéromones ou inoculation d’une bactérie à action fongicide circulant dans la sève.
Les ormes sont fort peu communs en Ardenne et plus particulièrement en Haute Ardenne. Le milieu ne leur convient pas vraiment. Ils préfèrent les sols au pH basique à neutre (voire légèrement acide pour l’orme lisse). Les rares sujets que l’on y rencontre furent le plus souvent introduits à partir de plantations: allées, parcs, bords de routes, de rivières, talus, où ils drageonnent abondamment.
Ainsi, une superbe allée d’ormes bordait naguère l’allée du « château » de Sart avant d’être décimés par la graphiose. A Spa, d’après Pierre Lafagne (Spa-Ancien, édit. J’ose, 1934), en 1779, on planta d’ormes la nouvelle avenue, dénommée aujourd’hui avenue Camille Bellanger, reliant le Waux-Hall au salon de jeux Levoz.
Ainsi, le long du Wayai, du boulevard des Anglais au lac de Warfaaz, les drageons se multiplient jusqu’à atteindre la taille de deux à trois mètres, sans jamais cependant devenir adultes. Ainsi, rue des Ecomines, un orme champêtre (si ce n’est un hybride ?), taillé «en parasol », a été planté au-dessus de la rue des Chafettes.
Le genre Ulmus compte environ 150 espèces et de multiples hybrides qui perturbent souvent toute identification précise. Les ormes sont, pour la plupart d’entre eux, d’origine sylvicole et propagés autrefois pour leur intérêt économique ou esthétique. Trois espèces, seulement, se rencontrent en Belgique.
L’orme lisse, ou orme pédonculé (Ulmus laevis Pall.) se caractérise surtout par ses feuilles, très dissymétriques à la base, aux longues dents recourbées vers la pointe; elles sont veloutées au toucher et leur pétiole est très court. Ses fleurs et fruits sont longuement pédonculés. La graine se situe au centre d’une samare ciliée. Sporadique, on le trouve surtout dans les lieux humides, sur terrains argileux ou sablonneux.
L’orme de montagne, orme blanc ou orme à grandes feuilles (Ulmus glabra Huds.) se reconnaît à son limbe foliaire peu dissymétrique à la base, avec, le plus souvent, deux grandes dents latérales. La graine est au centre d’une samare glabre. Il est très rare à totalement absent en plaine, hormis dans des parcs et semble plus résistant à la graphiose que les autres espèces.
L’orme champêtre, ou ormeau (Ulmus minor Mill.) a des feuilles au limbe asymétrique, rudes au toucher, doublement dentées, à court pétiole. Les samares sont glabres à graine excentrée. C’est une espèce typique de recolonisation des terrains abandonnés, avec une préférence pour les sols fertiles, frais, enrichis en azote.
Outre l’orme lisse de Bérinzenne, on peut encore admirer un superbe orme champêtre d’une trentaine de mètres de haut, dans la vallée de la Meuse, à Engis, dans le parc du château de Hermalle-sous-Huy. Un autre orme champêtre de plus de 20 mètres est situé à proximité du gouffre de Belvaux à Han-sur-Lesse.
Chez les Grecs, comme chez les Romains, l’orme était sacré, on lui attribuait des dons oraculaires. Au Moyen-Age, c’était souvent sous sa frondaison que se rendait la justice ou que l’on proclamait les édits seigneuriaux.
Autrefois, son écorce s’employait pour soigner les affections cutanées. Dépurative, elle est aussi diurétique, sudorifique et renommée contre les rhumatismes.
En Norvège, on faisait sécher la sous-écorce d’orme pour la réduire en poudre, la mélanger à des farines de céréales et en faire du pain durant les périodes de disette.
En Russie, on préparait une tisane avec les feuilles de l’orme champêtre.
Autrefois, le bois d’orme était utilisé pour la lutherie, la fabrication des moyeux et roues de charrettes, des pièces de bateaux, des escaliers, mais aussi comme pilotis (Venise est bâtie sur des pilotis d’orme et d’aulne), ou comme traverses de chemin de fer. C’est encore aujourd’hui un luxueux bois de placage, de marqueterie et d’ébénisterie; la loupe d’orme servit à faire les tablettes des meubles les plus remarquables, et même jusqu’aux tableaux de bord des voitures les plus belles comme les Rolls Royce.
Michel Carmanne