Des Bernaches du Canada au lac de Warfaaz

bernachecanada2Depuis quelques jours, Mme Dominique Bastin voit en se promenant autour du lac de Warfaaz quatre nouveaux « canards » ou « oies ». Ayant consulté de la documentation, elle constate que ce sont des Bernaches du Canada qui normalement ne vivent pas dans nos régions. Elle nous demande s’il s’agit bien de cet oiseau.

M. Willemaers observe trois magnifiques Bernaches du Canada autour d’un petit étang à Creppe. Il pose également la question de savoir si la présence de ces oies est habituelle en Belgique ? Ces oiseaux ont également été observés dans des prairies de Nivezé.

Un oiseau introduit il y a une vingtaine d’années

Il est exact que la Bernache du Canada est un oiseau qui vit en Amérique du Nord mais depuis quelques années des oiseaux introduits dans des élevages en Belgique se sont reproduits et ont repris une vie sauvage.

Cédric Calberg (Aves contact n°6, 1999 10-12) raconte cette histoire extraordinaire et qui risque de bouleverser la population des oiseaux de nos étangs et lacs.

« En une petite vingtaine d’années, les effectifs de Bernaches du Canada ont plus que décuplé en Wallonie, passant de quelques individus isolés et captifs à près de 500 exemplaires, dont la grande majorité peut être considérée comme sauvage.

Les premiers groupes, 2 ou 3 exemplaires, sont notés à Aywaille et Jambes en 1985. En 1986, on observe la première nidification de l’espèce en Wallonie, à Vervoz, près d’Ocquier dans le Condroz. R. de Liedekerke, qui surveillait le site notait: « un couple sauvage est arrivé naturellement à l’étang au début du printemps, il a niché et élevé deux jeunes. A ces 4 exemplaires viennent s’ajouter 2 autres, achetés par le propriétaire de l’étang ». L’histoire s’emballe ici, et de ce petit noyau naîtra la plus belle population de Bernaches du Canada de Wallonie, forte maintenant de 272 individus. Durant les années 90, les effectifs de Bernaches ne cesseront d’augmenter, avec une régularité étonnante, comme le nombre de sites occupés en période de nidification, 6 en 96 et plus de 12 en 99.Tous les sites favorables sont maintenant fréquentés dans un rayon de 15 à 30 km autour de Vervoz.

Ces oiseaux se sont adaptés de manière remarquable à notre environnement alors que rien ne ressemble aux ressources et paysages de leur toundra originelle. Ainsi, la quasi totalité des couples de Bernaches du Condroz adoptent une île comme site de nidification.

La recherche de nourriture peut, elle aussi, se révéler problématique, surtout à l’entame de l’hiver, quand l’herbe ne repousse plus. En juillet et en août, les chaumes de céréale sont activement exploités par les Bernaches, d’abord les plus proches des étangs où elles se rassemblent, puis de plus en plus loin. En septembre-octobre, elles se gavent volontiers des derniers épis de maïs délaissés par les machines. Vient ensuite la saison la plus difficile, où la recherche de nourriture devient aléatoire. Elles quittent alors très tôt l’étang dortoir qu’elles affectionnent, pour le rejoindre parfois à la nuit tombée, dans un grand vacarme de cris joyeux et libres.

Dès la sortie de l’hiver, l’instinct de reproduction reprend le dessus et les Bernaches abandonnent leur caractère sociable. Elles circulent alors souvent en couple à la recherche d’un lieu propice où nicher. Seuls les oiseaux de 1 ou 2 ans, sexuellement immatures, resteront en groupe. Il faudra alors attendre la mue pour observer à nouveau de grands rassemblements de Bernaches. Fin juin-début juillet, privées de leurs rémiges, les oies patienteront sur les sites les plus sûrs, le temps de récupérer leur capacité voilière. Mais le plus extraordinaire reste à venir : incitées par leur instinct séculaire qui les pousse à se rassembler avant la migration d’automne, toutes les Bernaches condruziennes cinglent vers Vervoz à la mi-août. Les sites de Jannée, de Hoyoux, de Tinlot, de Braibant, de Melreux, de Barvaux-en-Condroz, de Rochefort et d’autres sans doute sont désertés au profit du seul Vervoz. C’est l’époque du grand rassemblement, un des plus beaux spectacles que nous offre cet oiseau. Ainsi, chaque année, le cycle de vie est bouclé à l’endroit même qui a vu naître cette population.

Au départ de quelques individus échappés de captivité, une population de près de 300 individus, entièrement libres de leurs mouvements, indépendants de l’homme et parfaitement synchronisés dans leur cycle de vie est née en moins de 15 ans. »

Evoquer les Bernaches, c’est immanquablement aborder le thème des critiques faites à l’introduction des oiseaux exotiques. Pour Cédric Calberg, ces oiseaux venus d’ailleurs ne déplaisent pas aux oiseaux indigènes, mais bien aux ornithologues eux-mêmes, surtout aux puristes et aux nostalgiques d’une nature belle et intacte, révolue à jamais. Dans le cas des Bernaches, l’accueil chaleureux qui leur est réservé par le grand public contraste avec celui, froid et dédaigneux, des naturalistes. Il invite à étudier ce phénomène, sans préjugé, car les questions qu’il nous adresse sont essentielles : la bernache est-elle capable de redevenir réellement sauvage? Quels sont les atouts de ces populations d’origine captive, parfois en augmentation rapide?

Un point de vue beaucoup plus critique est défendu par Louis Bronne dans la revue Natagora. Il signale qu’un forum belge sur les espèces invasives a classé la Bernache du Canada sur la liste noire car ces oiseaux exercent une pression sur la végétation des zones humides (elles s’en servent comme nourriture) et parce qu’elle entre en compétition pour le territoire et pour les aliments avec d’autres oiseaux d’eaux.

Les espèces invasives sont considérées comme la deuxième cause de la perte de biodiversité. Ainsi ces oiseaux risquent d’accélérer la disparition de milieux naturels. Pour cet auteur, la Bernache est de plus agressive envers les autres espèces comme la poule d’eau, le foulque et le colvert et en fait échouer les nidifications. Elle empêcherait tout espoir de voir notre oie indigène, l’oie cendrée, nicher à nouveau dans nos régions. » Louis Bronne pose la question de savoir s’il n’est pas nécessaire de limiter le développement de ces oiseaux !

Ceci montre en tout cas que rien n’est simple, qu’un spectacle aussi magnifique que l’envol des Bernaches peut être porteur de problèmes et que l’homme, par son intervention, modifie sans cesse même sans le vouloir le milieu naturel.

Pol Jehin


Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *